N°10 / À bas les masques !

Le masque au théâtre, entre artifice et vérité ?

À partir de la pratique de Loïc Nebreda, facteur de masques

Caroline Bach

Résumé

Un masque est un objet qui cache une partie ou tout le visage humain. Objet utilisé au théâtre, il est un instrument du jeu de l’acteur. C’est ainsi que le masque en scène doit en quelque sorte disparaître en tant qu’objet : il prend vie et devient réel. Le spectateur doit le « reconnaître » en tant que signe de sa propre expérience du réel. Si cette reconnaissance n’a pas lieu, le spectateur ne voit que l’objet et n’arrive pas à faire de lien avec son expérience. Tout semble alors rester du côté du faux. C’est la combinaison de l'art du facteur de masques et de celui de l’acteur de faire basculer une transposition du réel dans un signe qui déclenche des images en lien avec une expérience du spectateur qu’il peut alors valider comme réelle. 

Mots-clés

Plan de l'article

Télécharger l'article

Un masque est un objet qui cache une partie ou tout le visage humain. Objet utilisé au théâtre, il est un instrument du jeu de l’acteur. C’est ainsi que le masque en scène doit en quelque sorte disparaître en tant qu’objet : il prend vie et devient réel. Le spectateur doit le « reconnaître » en tant que signe de sa propre expérience du réel. Si cette reconnaissance n’a pas lieu, le spectateur ne voit que l’objet et n’arrive pas à faire de lien avec son expérience. Tout semble alors rester du côté du faux. C’est la combinaison de l’art du facteur de masques et de celui de l’acteur de faire basculer une transposition du réel dans un signe qui déclenche des images en lien avec une expérience du spectateur qu’il peut alors valider comme réelle. 
À partir de la description de quatre masques conçus par Loïc Nebreda1, nous interrogerons le fonctionnement du masque dans son apport au réel au moment de la représentation. C’est la façon même de concevoir et de fabriquer du facteur de masques qui servira de fil rouge pour comprendre la disparition du masque sur scène. Autrement dit, nous verrons comment le temps de recherche en amont et la fabrication même portent l’usage du masque.
Dans un premier temps, il s’agira donc, pour chacun des quatre masques présentés, de préciser leur contexte de fabrication. Dans un second temps, nous nous interrogerons sur leur fonction sur scène : est-ce un masque d’apparition qui permet de créer une image, le masque étant alors souvent chaussé à vue (le mode d’apparition) ou sert-il à créer un personnage sur la durée de la pièce, au cours de laquelle le jeu masqué est une composante importante du style du spectacle (le mode de la création) ? En analysant la façon de fabriquer les masques, nous verrons comment la technique de Loïc Nebreda anticipe ces deux modes opératoires.

 

Les effets de réel2

Le contexte

Les deux premiers masques ont été fabriqués pour le spectacle Les Démons (d’après Dostoïevski) mis en scène par Sylvain Creuzevault et présenté au théâtre national de l’Odéon, aux ateliers Berthier, dans le cadre du Festival d’automne, en 2018 (illustrations 1 et 2). 

Illustration 1

Illustration 2


Loïc Nebreda et Sylvain Creuzevault collaborent depuis une quinzaine d’années et ont l’habitude de partager la phase préparatoire ensemble. Pour Les Démons, le metteur en scène avait commandé une vingtaine de masques afin de tenter la représentation d’un peuple russe – c’est une des grandes questions du roman de Dostoïevski. Une série de questions : à quoi pourrait ressembler un homme russe croisé sur le bord de la route ou dans une station-service ? Ou dans un petit restaurant routier ? Comment arriver à englober tout le territoire russe à travers cette vingtaine de visages ? a permis de lancer la recherche puis de créer plusieurs dossiers de visages à partir de photographies, de vidéos ou reportages, un peu comme un jeu de piste, dans une approche presque documentaire. Loïc Nebreda et Sylvain Creuzevault échangeaient à distance car le metteur en scène envoyait aussi des images témoignages de lieux de travail, de conditions de vie. La notion de peuple et l’univers de Dostoïevski restent prédominants. À partir de plusieurs centaines d’images, Loïc Nebreda et Sylvain Creuzevault se sont accordés sur un dossier d’une dizaine d’image par masque chacun constituant comme un monde, l’idée n’étant pas de reproduire et catégoriser des visages ou d'établir une typologie mais de créer à tâtons des supports évocateurs, déclencheurs d’imaginaires. Pour le masque de la vieille femme russe (illustration 2), le point de départ était une photographie qu’il avait repérée, celle d’une vieille femme qui se trouvait dans une caisse de pension et venait réclamer sa retraite. Le corps portait la précarité : la fatigue des traits, les racines non faites… Enfin, tous les masques fabriqués n’ont pas été utilisés lors du spectacle et certains comédiens en ont porté plusieurs.

 

La fabrication : un homme jeune (illustration 1), une vieille femme (illustration 2)

Cette série de vingt masques est particulière parce qu’elle n’a pas été faite sur mesure et peut donc convenir à différents visages. Habituellement, Loïc Nebreda travaille à partir de l’empreinte des visages des acteurs. Le masque de l’homme jeune (illustration 1) est comme un casque (une cagoule) à enfiler : il y a une partie à l’arrière qui se ferme avec un système de boutonnage. Pour la vieille femme, c’est un masque qui prend la face, avec un foulard qui cache l’arrière de la tête.
Les étapes de fabrication sont souvent les mêmes. Il y a tout d’abord un modelage en terre : pour cette série, Loïc Nebreda en a créé une vingtaine. Puis il utilise des feuilles thermoplastiques3 (qui sont chauffées à 200° C) pour recouvrir le modelage, celles-ci en épousant ainsi tous les reliefs. Refroidi, le modelage est retiré et la base du masque, à mi-chemin entre anatomie et surface place, apparaît sous forme d’une fine épaisseur : cette base n’entre pas dans tous les détails de l’anatomie, ce qui sera corrigé plus tard, à la peinture, par des raccords en trompe-l’œil. 

Ensuite intervient la phase de découpe, de consolidation et de finition : pour maintenir le contour du masque, il installe un fil en laiton, identique à celui employé pour les chapeaux, en l’incrustant dans la matière. Les systèmes de fixation sont posés : pour un casque, il faut un système de boutonnage/agrafage à l’arrière ; pour un masque comme celui de la vieille femme, ce sont des élastiques, à l’arrière qui permettent de l’enfiler facilement. Puis il faut alors passer un liant acrylique qui va permettre à la peinture de tenir à la surface. Enfin peut intervenir le travail de peinture, qui comprend une succession de couches : Loïc Nebreda travaille par transparence. Il faut d’abord trouver un fond puis, avec de nombreuses applications, parfois appliquées à l’éponge découpée, apporter du relief, de la matière au rendu lisse du départ. C’est ainsi que si l’on regarde le masque de près, dans le détail, il paraît plus grossier et moins réaliste – moins proche de la texture d’un vrai visage – alors que vu à distance, sur scène, il donne parfaitement le change. Pour ce type de masque à « effet de réel », le volume et les détails des yeux sont peints en trompe l’œil : au centre un trou est fait au niveau de la pupille, de cette façon, les acteurs peuvent voir et s’orienter. Une lentille en plastique transparent du diamètre de l’iris est collée à la surface de l’œil afin de donner la brillance du regard.


Les personnages4

Le contexte

Les deux autres masques présentés sont très différents par leur forme et leur usage. Ils ont été réalisés pour des compagnies qui travaillent essentiellement en extérieur, avec des structures aménagées avec des gradins pour accueillir le public, et qui participent à de nombreux festivals des arts de la rue.

Le premier a été fabriqué pour la Compagnie Théâtre Nomade et le spectacle Le Café (adaptation d’après Goldoni), présenté en 20145 (illustration 3). Il a été réalisé pour le comédien qui jouait le garçon de café : une sorte de « garnement » très vif, ayant de nombreux petits boulots, et pour lequel une référence été faite au personnage d’Arlequin6, avec cette tâche rouge caractéristique, que l’on retrouve sur les masques d’Arlequin. Il fallait aussi traduire cette vivacité et cette intelligence avec le front et les arcades bombés.

Illustration 3


Le second a été conçu pour la Compagnie Annibal et ses éléphants et le spectacle L’Étrange cas du Dr. Jekyll et de Mr. Hyde, présenté en 20217 (illustration 4). Il a été fabriqué pour le comédien qui jouait la mère du docteur Jekyll, c’est-à-dire un personnage de l’Angleterre Victorienne, plutôt strict, s’inquiétant beaucoup pour son fils, avec une pointe d’excentricité – ce fard à paupière bleu et des sourcils bien épilés. Au départ, il y a donc ce personnage assez typé, joué dans la rue, dans un environnement qui suppose un jeu soutenu. L’adaptation a été « traitée comme une bande dessinée vivante8 » et le spectacle avait la particularité d’avoir été conçu en collaboration avec une dessinatrice de bande-dessinée, Eirini Skoura, qui travaillait depuis Athènes9. Laquelle a dessiné des planches qui ont servi pour réaliser les décors. Il y avait donc cette volonté d’un traitement type « bande dessinée », pour les personnages comme pour les décors ou les costumes. La dessinatrice a élaboré des planches avec des propositions de silhouettes, de costumes, de caractères. Loïc Nebreda s’est appuyé sur ces visuels produits par quelqu’un d’autre, ce qui est un cheminement atypique puisque justement, la phase préparatoire – la recherche de formes, de visages, de détails anatomiques – est un moment essentiel dans la pratique du facteur de masques.

Illustration 4


La fabrication


Ces deux demi-masques ont été faits sur mesure. Il y a d’abord eu une prise d’empreinte du visage du comédien avec des bandes plâtrées, ainsi que la prise de photographies et de différentes mesures. Une réplique de la tête a pu être ensuite fabriquée. La lèvre supérieure et le regard constituent les deux difficultés principales : la position de la lèvre supérieure, dans le masque, doit être calculée de manière à être parfaitement ajustée à la lèvre supérieure du comédien et le regard devra pouvoir ressortir correctement. La bonne réalisation de l’empreinte est essentielle pour éviter que, par la suite, le masque ne rentre trop, ne soit douloureux au niveau des yeux ou fasse comme une boursouflure au niveau de la lèvre. En parallèle, les échanges continuent avec le metteur en scène pour constituer un répertoire de formes, à partir de photographiques ou vidéos. 

Ensuite vient la fabrication du masque à partir des feuilles thermoplastiques, qui permet d’obtenir une base pour le masque, qui est testée avec le comédien, pour vérifier le confort et pour pouvoir essayer les perruques et pour réfléchir aux systèmes de de fermeture – comme un essayage de costume. La prise d’empreinte et le modelage en terre sont primordiaux car ils permettent, dès le départ, d’être le plus juste possible et de définir la distance du visage au masque10. Lors de l’essayage, Loïc Nebreda contrôle le niveau des paupières et de la bouche. Il recherche aussi les points d’appui car le masque va reposer sur le visage du comédien : il faut que la tension permette au masque de se poser, de se caler correctement sur le visage. Puis vient la phase de coloration. Par exemple, pour le personnage féminin, il fallait réaliser une carnation très pâle : c’est une femme âgée qui vit dans son appartement londonien et sort peu. Comme nous l’avons indiqué, c’est par un travail de transparence, d’accumulation de couches fines de peintures, que le facteur de masques obtient la coloration recherchée11. Lorsque le demi-masque est installé, le maquillage permet de créer une continuité entre la teinte du masque et le bas du visage. Pour que le regard ressorte mieux, le contour des yeux est fait en noir.

 

Le mode apparition versus le mode création

Dans Les Démons, pour la vieille femme russe, par exemple, la comédienne arrivait masquée sur scène. Elle produisait une action très minimale : elle faisait le ménage, pendant que les autres comédiens continuaient à jouer. La comédienne, avec son corps, était à la fois cette femme-là, avec ce fichu-là, avec cette bouche pincée et en même temps, toutes les vieilles femmes russes qui ont trimé toute leur vie – à la fois un personnage particulier et générique. Pour d’autres masques, les comédiens les mettaient à vue, souvent dans un moment où la focalisation était ailleurs. Les comédiens n’étaient pas toujours masqués.
Le mode d’action du masque est ici celui de l’apparition. Que le masque soit chaussé à vue ou non, peu importe : il permet simplement de changer rapidement de visage, de multiplier ainsi les personnages et les situations sur scène. Le masque en jeu disparaît puisqu’il déclenche ici un imaginaire. En chaussant le masque à vue, la métamorphose du comédien en personnage est rendue visible ; elle permet la multiplication rapide des personnages sur scène et la production de nouvelles situations, comme des sortes de tableau – de grandes scènes. Interchangeable, le masque d’apparition fonctionne sur le registre des images ; il n’a pas une intention psychologique, par exemple : « On s’est rendu compte qu’une suite de masques, dans leur apparition, était déjà en soi toute une histoire. Et que c’était suffisant. Juste une série d’images possibles de l’homme qui questionnent ses origines, comme une série de tableaux masqués12. »
Ce qui est troublant, c’est que ces masques à « effet de réel », vus de près, ont un aspect assez brut, avec le traitement de la peinture choisi par Loïc Nebreda. Mais en tant que spectateur, vus de plus loin donc, ils possèdent un véritable « effet de réel », c’est-à-dire que nous pouvons penser, sans hésiter, qu’il s’agit du vrai visage des comédiens. Et cet effet est suffisant pour que le spectateur puisse valider cette expérience comme réelle. 
L’usage des demi-masques, dans les spectacles Le Café ou L’Étrange cas du Dr. Jekyll et de Mr. Hyde, ne s’établit pas sur le même registre. Le masque sert alors à créer un personnage sur la durée de la pièce, au cours de laquelle le jeu masqué est une composante importante du style du spectacle, d’autant plus qu’il s’agit ici de théâtre parlé : le demi-masque laisse libre la mobilité du visage. C’est le mode de la création : le masque est un élément essentiel dans la création du personnage.
Le masque lui-même, une fois porté, se métamorphose aussi : il cesse de n’être qu’un objet pour se fondre dans le visage. Il disparaît dans le personnage : il ne s’agit pas de ne plus voir le demi-masque, il s’agit de l’oublier en tant qu’objet. Dans un entretien avec Joëlle Gayot, Valérie Dréville explique qu’« un rôle, c’est comme une suite de chambres avec des portes, on est passé ailleurs13. » Le masque est un artifice – un moyen de passer ailleurs. C’est un facilitateur, un accélérateur pour aller vers une transposition du réel, laquelle est un traitement plastique du réel. Quand la transposition est réussie, le spectateur peut alors valider comme réelle l’expérience qu’il est en train de vivre. Pour L’Étrange cas du Dr. Jekyll et de Mr. Hyde, l’univers de la bande dessinée apportait un imaginaire assez codifié. Toutefois, pour permettre la transposition, Loïc Nebreda a cherché à réaliser des demi-masques qui ne bloqueraient pas les personnages dans ce qu’ils étaient, en cherchant une synthèse artifice/vérité. Pour le personnage de la mère du Dr. Jekyll par exemple, il a combiné des effets de réel avec une touche graphique. D’ailleurs, il explique souvent qu’il essaie toujours de réduire au maximum les effets des masques. Il cherche à ne conserver que ce qui sera indispensable pour que le personnage puisse apparaître. Parfois, le masque peut paraître surchargé, alors qu’en fait, il a été travaillé dans un esprit de réduction. Tout dépend ensuite de la mise en scène et du travail des acteurs.

 

Loïc Nebreda, entre « le visible et l’invisible 14»

Même si à l’origine de ces quatre masques, il y a une commande, ils restent le fruit d’un travail de création, qui n’est jamais réductible à une mise en équation entre la commande et le résultat. La maîtrise des techniques de fabrication, par Loïc Nebreda, est importante, mais demeure secondaire : elle sert principalement à faciliter la création. Laquelle se nourrit du mystère du visage, dans ce qu’il a de visible et d’invisible, dans ce qu’il a de lisible et de caché – dans sa nudité et sa duplicité.

Que nous dit le visage de la personne ? À la fois beaucoup, et en même temps on sait bien que c’est périlleux de trop se fier à un ressenti, ou de vouloir établir des catégories. Il est plutôt question de visible et d’invisible, d’un équilibre d’impressions et de traces, d’une dimension humaine mouvante, fugace, parfois trompeuse. C’est ce que je cherche à capter… Même pour des masques à forte charge comique ou humoristique, le masque ne doit pas réduire le personnage à un cliché, à un code. À chaque étape du travail, je vise une proposition poétique épurée, vivante, qui résonne aujourd’hui, et en même temps ouverte, en suspension. Le dialogue futur du masque et de l’acteur devra permettre au spectateur de projeter ses propres images, être un support capable de déclencher l’imagination. De manière à favoriser ce processus, je me suis peu à peu intéressé à la tête entière, aux chevelures et je continue de chercher des solutions techniques qui mêlent matières brutes (tissus, fibres végétales, carton) et composites (silicones et résines)15


L’idée n’est jamais de reproduire ou de catégoriser des visages ou d’établir des typologies. Il n’y a pas non plus de psychologie avec les masques. Ce sont des formes plastiques, comme des coquilles vides. Ce qui ouvre les usages d’un masque, c’est la fixité de sa forme – une fixité, toutefois, qui est en suspension. C’est ainsi que le masque de la vieille femme russe (illustration 4) peut faire preuve d’un caractère acariâtre, éteint, soucieux, triste, résigné, amusé, détaché, indifférent… selon ce que va en faire la comédienne sur scène.
Il s’agit de créer, à tâtons, avec une part intuitive, des supports évocateurs, comme dans une séance d’improvisation. Les échanges préparatoires avec les metteurs en scène sont ainsi absorbés par le propre imaginaire de Loïc Nebreda, lequel s’enrichit en permanence par son observation personnelle des visages. Lorsqu’il est face au travail, dans la recherche plastique, dans la fabrication-même, il se sent comme un acteur en plateau, dans la même façon de chercher sur scène. Il y a d’abord une première impression, puis une reprise de cette impression, comme un enchaînement de portes, pour passer ailleurs, pour reprendre Valérie Dreville. À un moment donné, donc, le masque apparaît vraiment. C’est ainsi que lorsque Loïc Nebreda commence la fabrication, il a une idée, certes, qui n’est pas encore matérialisée, mais qui est plutôt précise : une visualisation claire de ce qu’il veut obtenir. Le masque est déjà là.

 

Conclusion

Loïc Nebreda a été formé à l’école Lecoq. Il a lui-même joué avec des masques. Il connaît le travail de transposition. Il peut se projeter dans le travail du metteur en scène. Lors des workshops qu’il anime, il ménage toujours des moments de jeu avec les stagiaires, afin que ces derniers puissent expérimenter les masques qu’ils fabriquent. Il y a cette analogie avec les instruments de musique : est-il possible de fabriquer un instrument sans savoir jouer de la musique ? Sans avoir une idée de l’usage de l’objet fabriqué ?
Autrement dit, ce qui est élaboré dans l’atelier du facteur de masques (sur la base d’un travail préalable avec un metteur en scène, voire avec toute une équipe de création) anticipe la fiction qui va se déployer ensuite dans le triangle masque/acteur/spectateur, lors des représentations. Une observation de la vie / du réel est à la source de la création et, à l’autre bout du processus, les images déclenchées dans l’imaginaire du spectateur ont également la vie / le réel comme support. Le masque sert de relais, forme comme un pont entre les deux. Pour l’acteur masqué, comme pour l’interprète d’instrument de musique d’ailleurs, il y a un retrait (apparent) similaire derrière l’objet (masque ou instrument), et comme par un effet de boomerang, c’est dans ce retrait que l’interprète se révèle.


Caroline Bach, en collaboration avec Loïc Nebreda (novembre 2023)


Annexes


Quelques photographies pour illustrer les différentes étapes de fabrication.

Modelage en terre de Mme Jekyll, spectacle L’Étrange cas du Dr. Jekyll et de Mr. Hyde © Loïc Nebreda

Thermoplastique brut, spectacle Les Démons © Loïc Nebreda

Peintures, spectacle L’Étrange cas du Dr. Jekyll et de Mr. Hyde © Loïc Nebreda


Finitions, peinture, Mme Jekyll, spectacle L’Étrange cas du Dr. Jekyll et de Mr. Hyde © Loïc Nebreda


Dernières retouches en loge, spectacle Les Démons © Loïc Nebreda

 


Notes et références 


Bibliographie

« Les Enjeux du masque sur la scène contemporaine », Alternatives théâtrales, n°140, mars 2020.

Freixe Guy, « Pédagogie du jeu masqué : transformer le geste ordinaire en poème scénique », https://www.erudit.org/fr/revues/annuaire/2018-n63-64-annuaire05147/1067746ar/ [en ligne], consulté le 13 septembre 2023.

Émissions / Documentaires

Une île, texte et mise en scène de François Cervantes, Didier Monturat (sculpture des masques), Compagnie L’Entreprise, https://www.dailymotion.com/video/xcaklb.

« Valérie Dreville : la métamorphose du comédien. », https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/une-saison-au-theatre/valerie-dreville-la-metamorphose-du-comedien-1011815 [en ligne], consulté le 10 septembre 2023.

 


1  Formé à la création théâtrale à l’école Jacques Lecoq à Paris et brièvement auprès de Donato Sartori à Padoue, Loïc Nebreda s’est rapidement orienté vers la création de masques en collaboration avec de nombreux metteurs en scène : notamment Christophe Laparra, Sylvain Creuzevault, Karl Eberhard, Sandrine Anglade, Lionel Gonzalez, Mikael Serre, Samuel Achache, Jeanne Candel, Lionel Dray, Coraline Cauchi et Leonor Canales.  Ces rencontres l’ont amené à poursuivre une recherche qui s’est rapidement éloignée de la commedia dell’arte, alliant utilisation de matériaux composites et naturels. Autodidacte, Loïc Nebreda exerce depuis 2000 : il a reçu en 2009 le prix « Pour l’Intelligence de la Main/Talents d’Exception » de la fondation Bettencourt-Schueller. https://Loïcnebreda.com.

2  Cette appellation a été choisie par Loïc Nebreda lui-même pour regrouper un ensemble de masques s’appuyant sur un effet de réel.

3 Avant le thermoplastique, Loïc Nebreda a d’abord beaucoup utilisé le silicone, recherchant un rendu très réaliste avec l’implantation poil par poil, par exemple : il voulait vraiment, alors, à imiter la réalité. Il a abandonné le silicone pour plusieurs raisons : la toxicité de certaines étapes, le temps de travail et le budget qu’il nécessitait. De surcroît, il trouve qu’un travail de peinture avec du trompe l’œil – un style de peinture plus lâché, avec moins de réalisme minutieux – donne une meilleure illusion de vie sur scène. Enfin, la manipulation des feuilles de thermoplastique est plus rapide.  

4 Cette appellation a été choisie par Loïc Nebreda pour regrouper des masques qui incarnent des personnages précis.

5 Voir https://www.theatre-nomade.fr/diaporama-c1ndq, consulté le 18 octobre 2023.

6 Cette marque rouge au coin du front fait référence à l’origine démoniaque d’Arlequin et aux cornes qui auraient été coupées.

7 Voir https://annibal.annibal-lacave.com/les-spectacles/letrange-cas-du-dr-jekyll-et-de-mr-hyde/, consulté le 17 octobre 2023. Le dossier à télécharger sur le site est très fourni.

8 Voir https://drive.google.com/file/d/19Vj_u7iBdYq6bjKbIiM47NXzIHsP_UfE/view, p. 3.

9 Toute la préparation du spectacle s’est faite pendant le premier confinement, en 2020.

10  Il y a la possibilité de faire de petits ajustements en réchauffant certaines parties, mais ils sont limités.

11  Il existe d’autres techniques de coloration, comme l’aplat par exemple.

12  « Masquer le visage pour plonger dans l’inconnu. », entretien avec Josef Nadj, in « Les Enjeux du masque sur la scène contemporaine », Alternatives théâtrales, n°140, mars 2020, p. 51.

13 « Valérie Dréville : la métamorphose du comédien », entretien avec Joëlle Gayot, France Culture, 2018, https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/une-saison-au-theatre/valerie-dreville-la-metamorphose-du-comedien-1011815, consulté le 15 septembre 2023.

14  Voir https://loicnebreda.com/fr/le-visible-et-linvisible/, consulté le 15 septembre 2023.

15  Ibid.

 


À propos de l’autrice

https://carolinebach.fr
Caroline Bach est diplômée de l’E.N.S.P. (Arles) et docteure en histoire de l’art (qualification MCF, section 18). Elle est membre associée du LIFAM (Laboratoire Innovation Formes Architectures Milieux), à l’ENSA de Montpellier. « Cédric Martigny, la photographie au travail » est son dernier texte paru pour le numéro 13 de la Revue ITTI (Images du travail, travail des images) en 2022 et qui avait comme thématique suivante : « L’apparence au travail au prisme des images. » Par ailleurs, depuis plusieurs années, elle poursuit un travail artistique qui porte sur la façon dont le travail façonne le territoire et nos vies (https://carolinebach.fr). Givors au confluent du Gier et du Rhône, avec un texte de Gilles Verneret « À quoi rêve Givors aujourd’hui » (éditions La Cabane, 2022), présente la série qui sera montrée au Bleu du Ciel (Lyon) en octobre 2023. L’ouvrage Dites-nous comment survivre à notre condition, sur la série éponyme, est sorti aux éditions LOCO (2015) avec un texte de Dominique Baqué « Témoigner des luttes ouvrières ».

 

En collaboration avec Loïc Nebreda

https://loicnebreda.com/fr/
Formé à la création théâtrale à l’école Jacques Lecoq à Paris et brièvement auprès de Donato Sartori à Padoue, Loïc Nebreda s’est rapidement orienté vers la création de masques en collaboration avec de nombreux metteurs en scène : notamment Christophe Laparra, Sylvain Creuzevault, Karl Eberhard, Sandrine Anglade, Lionel Gonzalez, Mikael Serre, Samuel Achache, Jeanne Candel, Lionel Dray, Coraline Cauchi, Leonor Canales. Ces rencontres l’ont amené à poursuivre une recherche qui s’est rapidement éloignée de la commedia dell’arte, alliant utilisation de matériaux composite et naturels. Autodidacte, il a reçu en 2009 le prix « Pour l’Intelligence de la Main/Talents d’Exception » de la fondation Bettencourt-Schueller.

Continuer la lecture avec l'article suivant du numéro

Masques numériques. Quand l’image se (dé)masque

Jacques Demange

Dans le domaine des effets spéciaux et visuels, l’image de synthèse a succédé aux prothèses de latex pour répondre à la double ambition narrative et plastique incarnée par le masque au cinéma, et plus généralement dans le domaine des arts visuels. Cet article cherchera à analyser les variations et les récurrences du masque de synthèse à travers la problématique du voilement et du dévoilement qu’il appose aux images en mouvement. Agente de composition fictionnelle par les possibilités de personnification qu’elle...

Lire la suite

Du même auteur

Tous les articles

Aucune autre publication à afficher.